Journal de Savannah Andrews

Quelques jours après la sortie des abris...

Cela fait plusieurs jours maintenant que nous sommes sortis de cet abri. Et c’est la première fois que j’ai trouvé le courage d’écrire dans ce journal. Des événements étranges se sont déroulés, et j’ose à peine en parler, après tout on ne sait jamais. Et si quelqu’un arrivait à lire ces pages sans que je ne m’en rende compte ? Et si le simple fait de me confier dans un cahier mettait tous mes amis en danger ? Je sais que c’est complètement absurde, vu la cachette que j’ai trouvée… Et puis, j’ai besoin d’en parler. J’ai besoin de le dire, ou plutôt de l’écrire. Ca rendra cette expérience plus réelle et peut-être que grâce à cela, je réussirais à faire la part des choses.

Hier matin, je n’avais pas cours. Je me suis donc réveillée en milieu de matinée. Mes parents n’étaient pas à la maison, je me trouvais seule bien que je ne le sache pas encore à cet instant-là. En ouvrant les yeux, je me suis rendue compte que j’avais changé. J’avais la fâcheuse impression de voir le monde comme si j’étais plus petite. La simple armoire de ma chambre me semblait gigantesque. J’ai eu peur, j’ai cru qu’il s’agissait d’un rêve mais lorsque j’ai voulu me pincer pour vérifier… Ca va sembler bizarre mais j’étais un chat. Je me suis regardée sous toutes les coutures : j’étais un félin, j’avais des pattes et des poils de la même couleur que ceux de Chocolate. J’ai commencé à vraiment flipper et j’avais peur de bouger du lit. Pourtant, j’ai pris mon courage à deux mains et je me suis « mise debout »… Je marchais à quatre pattes, c’était incroyable. Je suis tombée du lit bien sûr parce que je ne suis pas arrivée à sauter… Une fois par terre j’ai marché, comme un chat… Je regardais partout autour de moi, ma chaise de bureau me paraissait si grande ! Tout le mobilier en fait, et j’avoue avoir carrément eu peur. Pour confirmer, je me suis rendue jusqu’au miroir offert par ma mère, et je me suis vue. J’étais vraiment un chat. J’ai essayé de parler. Je me suis entendue miauler. A l’extérieur, Chocolate grattait derrière la porte et miaulait aussi. J’étais tellement effrayée que je me suis arrangée je ne sais plus comment pour remonter sur le lit et je me suis couchée. J’ai attendu… J’ai du finir par me rendormir puisqu’en me réveillant pour la seconde fois, il était plus de onze heures. Et j’étais à nouveau moi.

Je ne sais pas quoi penser de tout ça. Bizarrement en me réveillant la première fois, je me suis souvenue avoir rêvé d’un chat, de Chocolate pour être plus précise. Alors comment aurais-je pu rêver une seconde fois ? Je veux dire, cet événement n’était pas un songe, il avait l’air bien trop réel. Et c’est hier soir que je me suis vraiment rendue compte que quelque chose n’allait pas et que cette histoire de chat était bel et bien réelle.

Après les cours, je suis allée au centre commercial pour acheter le repas du soir. J’y ai croisé Jack et je lui ai proposé de venir dîner avec mes parents et moi. Je ne l’avais pas vu depuis la sortie des abris et il me manquait terriblement, comme tous les autres d’ailleurs. Il a bien sûr accepté. Alors qu’on était dans la cuisine à préparer le dîner, pendant que mes parents étaient sur le sofa, Jack a voulu allumer les lumières de la cuisine mais l’ampoule a grillé. Je suis donc allée lui en chercher une autre pour qu’il la remplace, et lorsqu’il l’a prise dans sa main, elle s’est allumée. Oui, elle s’est littéralement allumée, comme si Jack pouvait produire de l’électricité ! Au départ, on a tous les deux pensé à une espèce d’hallucination collective mais on savait que c’était impossible dans une telle situation.

Il n’y a qu’une chose à dire : Jack peut allumer des ampoules et moi je peux me transformer en chat. Ce n’est pas non plus un hasard si on se trouvait dehors durant la dernière explosion. On a tous été confrontés au nuage chimique, qui a pu changer quelque chose en nous. Jack n’est pas d’accord avec moi sur cette théorie, mais je suis persuadée d’avoir raison. Pourquoi est-ce qu’on serait en train de développer des trucs hors du commun sinon ? Il faut que j’aille voir les autres, il faut que je sache s’ils ont eux aussi remarqué des choses bizarres.

Les militaires sont partout et nous sommes toujours en quarantaine. On doit faire attention à tout ce qu’on dit et à tout ce qu’on fait. C’est déjà assez difficile comme ça de devoir garder un secret aussi important que le nôtre, mais si en plus on se sent déboussolés et qu’on développe des capacités surnaturelles alors là… J’ai encore espoir que tout ceci ne soit qu’un mauvais rêve, mais les coïncidences seraient trop grosses. Au fond de moi, je sais que bientôt, notre vie à tous les six sera changée à jamais.

Environ une semaine après la sortie des abris.

Est-il possible de ressentir des sentiments complètement opposés au même moment ? Parce qu’à cet instant précis, je suis heureuse, triste, excitée et effrayée à la fois. C’est bizarre comme l’on peut être complètement perdu à cause d’un événement particulier qui se passe dans notre vie. Un jour, on se dit que tout va bien, que plus rien ne pourra venir nous déranger et qu’on va pouvoir continuer à faire notre petit bout de chemin… Et la minute suivante, notre existence est complètement chamboulée et l’on ne peut rien faire à part subir et essayer de s’adapter du mieux qu’on le peut. Je vais expliquer pourquoi ces sentiments différents m’assaillent en ce moment précis… Et peut-être que, comme la dernière fois, ça m’aidera à y voir plus clair.

Heureuse. Oui, je le suis vraiment. Je me rends compte que tout se passe bien, j’ai retrouvé mes parents depuis une semaine et ça me ravit complètement. Mes amis vont bien, et même si les militaires et les scientifiques sont là pour nous observer et nous poser des questions, alors malgré tout on peut s’estimer heureux. Le secret que je garde ? Il ne sera jamais révélé, que ce soit par l’un du groupe ou moi-même. La quarantaine ne peut pas durer des mois, alors peut-être que bientôt ils se rendront compte qu’ils se sont trompés, que personne n’est resté dehors durant l’explosion, et ils nous laisseront tranquille. Nous avons (tous les six) un alibi en béton et il est hors de question que quelqu’un ait pu nous voir. Ce n’est tout simplement pas possible. Je suis sereine, je veux l’être parce que si je ne crois pas que l’on peut s’en sortir, alors dans ce cas ce n’est plus la peine de continuer. J’ai également rencontré une jeune femme, Lena Adams Swensson. Elle est très connue, elle fait de la publicité pour des grandes marques et est également mannequin. Son pneu a crevé, je suis tombée sur elle en rentrant de l’usine. Nous sommes allées boire un verre et ça m’a permis de revoir Alex et Cam. Ils vont bien, voilà ce qui me rend également heureuse : je sais que mes amis n’ont pas de souci, que tout est pour le mieux. S’ils avaient eu un quelconque souci, ils seraient me voir de toute façon, non ? Ils savent bien que je suis celle qui est le plus à l’écoute et apte à réconforter. Au même titre que Jack est le plus adulte et sage d’entre nous… Enfin, j’ai passé une très bonne soirée en compagnie de Cam mais également de Lena. Elle a vécu pas mal de choses peu sympathiques et ne s’en cache pas. Ce genre de filles ne m’attire pas normalement : je les trouve fausses et la plupart ne pensent qu’à leur apparence et leur pognon. Mais Lena ne semble pas comme ça, elle cache une grande intelligence et est intéressante. J’espère la revoir, de toute façon avec la quarantaine ce ne sera pas bien difficile… Dernier élément heureux ? Nate est revenu. Il est là à nouveau, alors qu’il m’avait quittée lâchement à la fin du lycée. D’ailleurs nous en avons un peu parlé : on a grandi, on ne s’en veut plus et on arrête de penser à des choses révolues. Mais en le revoyant là, juste devant moi, je me suis rendue compte d’une chose : je n’ai jamais vraiment oublié Nate au final, sinon je n’aurais pas remis sur le tapis cette histoire de message vocal en guise d’au revoir et de rupture. Certes on est devenu adultes, on a certainement changé du fait de nos expériences, mais je suis certaine qu’il reste le Nate Stevens que j’ai connu. Et dont je pourrais très bien retomber amoureuse.

Triste. Parce que Nate n’est pas de retour simplement pour New Way. En fait, j’avais pensé au départ qu’il aurait pu revenir avant l’alerte à la bombe mais qu’il n’avait pas eu le temps de venir me rendre visite. Mais en fait ce n’est pas le cas : il est là parce que c’est un militaire et qu’il fait partie de ceux qui surveillent la zone pour que personne n’entre ni ne sorte. Il mène des interrogatoires pour savoir qui se trouvait avec qui dans quel abri, afin de découvrir les menteurs et ainsi mettre la main sur ceux qui n’ont pas pu se protéger à temps. Nate fait partie de leur groupe, il est l’un des leurs ! Comment pourrais-je le revoir de façon innocente en sachant tout ça ? Je cache un terrible secret et je ne peux pas le laisser m’approcher parce qu’il porte des treillis ! C’est vraiment incroyable, dans cette existence qui commence à vous faire peur, vous voyez enfin une lumière qui vous permettra d’échapper pour quelques temps à la dure réalité, et vous vous rendez compte que cette lumière est inaccessible. J’ai du faire croire à Nate que je ne désirais plus vraiment le revoir pour éviter qu’il ne se fasse des idées. J’ai accepté de boire un verre avec lui mais j’appréhende déjà cet instant, parce que je sais que je ne pourrais pas résister très longtemps. Me mettre juste devant la tentation n’est pas la meilleure solution, cela dit je n’en ai pas vraiment d’autre. J’aurais du lui dire que je n’étais pas célibataire. Ca l’aurait peut-être un peu plus fait souffrir mais au moins, il n’aurait pas tenté de me revoir dans un bar pour que cela aille plus loin par la suite. Je veux le retrouver, réapprendre à le connaître. Mais je ne peux pas… Si je cède, alors tous mes amis seront en danger, et il est hors de question que je fasse passer leur sécurité après mes sentiments. Jamais.

Excitée. Quand j’ai dit l’autre jour que Jack pouvait allumer une ampoule, et que moi je pouvais me transformer en chat… Et bien je ne savais pas encore si c’était possible, parce qu’après tout ça aurait pu rester un rêve, on ne sait jamais. Mais j’ai découvert autre chose. Samedi, Sam est venu me voir à la bibliothèque pendant mon heure de pause. Lui aussi a un pouvoir ! Il est capable de dessiner quelque chose qu’il rend vivant par la suite ! Il a fait ça avec une rose, mais je l’ai vu faire de mes propres yeux par la suite. Il a dessiné un papillon portant les lettres « SAVY » sur ses ailes. Celui-ci voletait dans la pièce quelques secondes plus tard ! Je n’en revenais pas. Mais encore mieux… En le voyant tester son « don », je me suis dit que moi aussi je pourrais peut-être recommencer, et redevenir un chat si je pensais très fort à cet animal. Et j’ai réussi. Je me suis vraiment transformée en chat, juste devant Sam, avant de reprendre forme humaine. Il n’en croyait pas ses yeux. Aujourd’hui, je peux le refaire si je veux, d’ailleurs j’ai déjà tenté dans ma chambre peu après cette histoire. Je n’ai pas encore essayé avec un autre animal, Sam m’a demandé si c’était possible mais je n’ose pas vraiment. Et puis, être un chat c’est déjà tellement… Wouah !

Effrayée. Nous sommes trois sur six pour le moment à avoir contracté un pouvoir surnaturel. Je sais que c’est forcément quelque chose en rapport avec la bombe. Après tout nous sommes restés dehors et ces trucs bizarres ont commencé à se passer peu après notre sortie de l’abri. Et puis très franchement, même si Jack n’est pas tout à fait d’accord, je ne vois pas ce que cela pourrait être d’autre. Les trois derniers membres de notre groupe doivent forcément avoir ressenti quelque chose également, peut-être qu’ils n’osent pas le dire, ou peut-être que je ne suis pas encore au courant. En tout cas, on devrait bientôt se retrouver tous les six pour discuter de ça. Parce que c’est important et que ça met notre avenir en jeu. Je n’ose pas le dire ni le montrer, mais j’ai peur, j’ai vraiment peur que les militaires découvrent quoi que ce soit. Et si nous étions incapables de nous contrôler ? Et si je me transformais en félin en plein milieu de la rue pour en avoir caressé un sur le trottoir ? Et si les lampes se mettaient à clignoter à chaque fois que Jack passait devant ? Nous ne savons rien de nos pouvoirs, on vient à peine de découvrir qu’un truc avait changé en nous, et cela pourrait être extrêmement dangereux pour notre sécurité. Oui, il faut absolument qu’on se voie.